Eloïse est assise dans un coin de son appartement. Elle est par terre ; elle préfère, pour pleurer. Ca va sûrement passer -ça passe toujours- mais c'est pas pour tout de suite, ça c'est sûr, parce que ce soir elle se noie dans sa tristesse et du coup, ça déborde. Attention, je parle de la tristesse de haut niveau hein, celle qui est largement en dessous de zéro. C’est pas celle qu’on règle d’un p'tit coup de cerveau bien pensé, ça vient du très profond voyez, de là où on ne peut pas vraiment raisonner.
Eloïse est faite ainsi. Son âme est particulièrement jolie, quelque chose de l’ordre d’une pépite. C’est un peu dû au hasard de la personnalité, cette beauté, mais faut dire la vérité, c'est aussi parce qu'elle en a chié. D’ailleurs, si elle ne s'était pas faite écrabouillée il y a quelques années, elle n’aurait pas autant de valeur aujourd'hui. C'est l’étrangeté de la vie, ça. Parfois, les gens qui ont beaucoup souffert deviennent quelque chose de vraiment meilleur, une exception de finesse dans ce monde brutassier. Je vous l’accorde, c’est assez paradoxal comme idée, mais à bien y réfléchir, ce doit être cela qu’on appelle Alchimie : transformer les petits bouts de merde qui nous habitent en éclats de pépite.
Les gens qui connaissent Eloïse savent bien qu'elle est particulière et qu'elle peut supporter beaucoup. Du coup, la plupart s'épanchent sur elle grassement, ils sentent qu'elle peut tout entendre, tout comprendre et donc ils ne l'épargnent pas pour un sou. Mais lorsque c'est elle qui s'effondre -le plus souvent sans raisons, les gens marqués sont comme ça- eh bien personne n'est là, vraiment, pour la ramasser. Parce que quelqu’un de blessé, c’est toujours quelqu’un d’un peu compliqué.
C'est pour ça que pleurer par terre, ça lui plaît bien, à Eloïse. Elle a l'impression d'être un peu moins seule, avec la mère Terre juste sous ses fesses, collée à ses pieds, qui ne la laissera pas tomber. Bon, elle vit au 3ème étage, d’accord, mais par terre, c’est par terre, non ? Oh, je vous en prie, il ne faut pas être si terre-à-terre… hihi.
Je vous vois venir, avec votre petit regard moralisateur, vous êtes en train de penser : « Mais qu’est-ce que t’attend, pauvre buse ? Puisque tu es là, va la consoler ! ». Ah mais je ne peux pas l'aider moi, c’est pas mon rôle je vous f’rais remarquer, je ne suis que de passage, vous savez. Dans cette vie-là ce soir, dans une autre demain, je fais ça de ma vie voyez-vous, je viens regarder ce qui est joli -ou ce qui ne l'est pas d’ailleurs- et puis j’en parle, un peu. Histoire de raconter une histoire, quoi...
Bref, à regarder Eloïse comme ça, je me dis que quand même, l’être humain n’est pas très malin : lorsqu’il découvre un petit trésor, un truc unique qui peut lui faire du bien, la première chose qui lui vient à l’esprit, ce n’est pas d’en prendre soin. Non, il s’agit d’en profiter un max, on est tous comme ça, à se dire qu’un truc aussi bon, faut le bouffer direct parce que vu ce monde à la con, on a bien mérité un petit cadeau. Alors qu’il s’agirait d’être un peu délicat, je ne sais pas moi, commencer par remercier je ne sais quoi d’avoir mis ça sous nos yeux par exemple.
Tiens, je vais faire un peu le papi, mais vous savez, quand j’étais petit, je pensais qu'une fleur, une fourmi ou un caillou, ça ne disait peut-être jamais rien, mais ça pensait beaucoup. Alors je faisais attention à ne pas trop leur manquer de respect, je les câlinais un peu voyez, je leur parlais doucement à l’oreille, parce qu'on ne sait jamais. Un jour, ça peut finir par se vexer et partir loin, si loin qu’après c’est trop tard… on ne se retrouve qu’avec du vide sur les bras. Et croyez-moi, le vide, ça pèse plus lourd que ce qu’on croit.
Bon, c’est pas tout ça mais je vais y aller moi, j’ai d’autres tristesses à aller contempler. Je parle, je parle mais… faut bouloter quand même un peu hein, héhé. Je vais aller chercher d’autres niveaux en dessous de zéro, histoire de raconter d’autres histoires d’âmes en solo. C’est mon boulot. Et pis, vous en faîte pas trop pour Eloïse, elle va reprendre le cours de sa vie. C’est un peu ça, la tragédie : on le sait, qu’elle va aller mieux, alors on la laisse se débrouiller. Remarquez, je suis pas sûr qu'on puisse vraiment l'aider. C'est vrai quoi : les gens blessés, c'est toujours un peu compliqué...
Allez, bonne journée. Et la prochaine fois, j'vous offre le café : c'est plus sympathique, pour discuter.
Eloïse est faite ainsi. Son âme est particulièrement jolie, quelque chose de l’ordre d’une pépite. C’est un peu dû au hasard de la personnalité, cette beauté, mais faut dire la vérité, c'est aussi parce qu'elle en a chié. D’ailleurs, si elle ne s'était pas faite écrabouillée il y a quelques années, elle n’aurait pas autant de valeur aujourd'hui. C'est l’étrangeté de la vie, ça. Parfois, les gens qui ont beaucoup souffert deviennent quelque chose de vraiment meilleur, une exception de finesse dans ce monde brutassier. Je vous l’accorde, c’est assez paradoxal comme idée, mais à bien y réfléchir, ce doit être cela qu’on appelle Alchimie : transformer les petits bouts de merde qui nous habitent en éclats de pépite.
Les gens qui connaissent Eloïse savent bien qu'elle est particulière et qu'elle peut supporter beaucoup. Du coup, la plupart s'épanchent sur elle grassement, ils sentent qu'elle peut tout entendre, tout comprendre et donc ils ne l'épargnent pas pour un sou. Mais lorsque c'est elle qui s'effondre -le plus souvent sans raisons, les gens marqués sont comme ça- eh bien personne n'est là, vraiment, pour la ramasser. Parce que quelqu’un de blessé, c’est toujours quelqu’un d’un peu compliqué.
C'est pour ça que pleurer par terre, ça lui plaît bien, à Eloïse. Elle a l'impression d'être un peu moins seule, avec la mère Terre juste sous ses fesses, collée à ses pieds, qui ne la laissera pas tomber. Bon, elle vit au 3ème étage, d’accord, mais par terre, c’est par terre, non ? Oh, je vous en prie, il ne faut pas être si terre-à-terre… hihi.
Je vous vois venir, avec votre petit regard moralisateur, vous êtes en train de penser : « Mais qu’est-ce que t’attend, pauvre buse ? Puisque tu es là, va la consoler ! ». Ah mais je ne peux pas l'aider moi, c’est pas mon rôle je vous f’rais remarquer, je ne suis que de passage, vous savez. Dans cette vie-là ce soir, dans une autre demain, je fais ça de ma vie voyez-vous, je viens regarder ce qui est joli -ou ce qui ne l'est pas d’ailleurs- et puis j’en parle, un peu. Histoire de raconter une histoire, quoi...
Bref, à regarder Eloïse comme ça, je me dis que quand même, l’être humain n’est pas très malin : lorsqu’il découvre un petit trésor, un truc unique qui peut lui faire du bien, la première chose qui lui vient à l’esprit, ce n’est pas d’en prendre soin. Non, il s’agit d’en profiter un max, on est tous comme ça, à se dire qu’un truc aussi bon, faut le bouffer direct parce que vu ce monde à la con, on a bien mérité un petit cadeau. Alors qu’il s’agirait d’être un peu délicat, je ne sais pas moi, commencer par remercier je ne sais quoi d’avoir mis ça sous nos yeux par exemple.
Tiens, je vais faire un peu le papi, mais vous savez, quand j’étais petit, je pensais qu'une fleur, une fourmi ou un caillou, ça ne disait peut-être jamais rien, mais ça pensait beaucoup. Alors je faisais attention à ne pas trop leur manquer de respect, je les câlinais un peu voyez, je leur parlais doucement à l’oreille, parce qu'on ne sait jamais. Un jour, ça peut finir par se vexer et partir loin, si loin qu’après c’est trop tard… on ne se retrouve qu’avec du vide sur les bras. Et croyez-moi, le vide, ça pèse plus lourd que ce qu’on croit.
Bon, c’est pas tout ça mais je vais y aller moi, j’ai d’autres tristesses à aller contempler. Je parle, je parle mais… faut bouloter quand même un peu hein, héhé. Je vais aller chercher d’autres niveaux en dessous de zéro, histoire de raconter d’autres histoires d’âmes en solo. C’est mon boulot. Et pis, vous en faîte pas trop pour Eloïse, elle va reprendre le cours de sa vie. C’est un peu ça, la tragédie : on le sait, qu’elle va aller mieux, alors on la laisse se débrouiller. Remarquez, je suis pas sûr qu'on puisse vraiment l'aider. C'est vrai quoi : les gens blessés, c'est toujours un peu compliqué...
Allez, bonne journée. Et la prochaine fois, j'vous offre le café : c'est plus sympathique, pour discuter.
2 commentaires:
Ouillaa ouilla c'est durement beau tout cela.
Je compatit beaucoup avec Eloise, on aimerait l'aider, mais faut-il qu'elle soit d'accord pour se mettre à portée.
Comme le papillon qu'on aimerait protéger, mais qui ne se laisse jamais attraper...
C'est sûrement ce que l'on nomme liberté.
Ce qui est sûr dans tout ça, c'est que la terre, les cailloux, et les arbres écouteront toujours Eloise, j'en suis persuadé.
D'autres êtres l'écoutent aussi, pas forcément ceux qu'elle voudrait ou peut-être pas de la manière souhaitée.
En prêtant l'oreille les entends-elle déjà, se superposer aux chants des arbres et des cailloux.
Ils chuchottent qu'ils voient clairement la pépite briller en Eloise et qu'ils seraient prêts à braver les tempêtes à ses côtés si bien-sûr elle le souhaitait
De bonnes choses là-dedans.
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