05 avril 2006

Voilà pourquoi j''aime tant les arts


"Tous les vendredis soir Pekisch jouait de l'humanophone. C'était un instrument bizarre. Il l'avait inventé lui-même. Il s'agissait dans la pratique d'une sorte d'orgue mais où à la place des tuyaux il y aurait eu des personnes. Chaque personne émettait une note et une seule : sa note personnelle. Pekisch manoeuvrait le tout à partir d'un clavier rudimentaire : quand il appuyait sur une touche, un système complexe de cordes envoyait une secousse au poignet droit du chanteur correspondant : quand il sentait la secousse, le chanteur émettait sa note. Quand Pekisch laissait la touche remonter, la corde se relâchait et le chanteur se taisait. Bon.


Au dire de son inventeur, l'humanophone présentait un avantage fondamental : il permettait aux personnes qui chantaient le plus faux de chanter quand même en choeur. En effet si bien des gens sont incapables d'aligner trois notes sans chanter faux, il est en revanche beaucoup plus rare de trouver quelqu'un qui ne puisse pas émettre une note unique avec une intonation parfaite et un bon timbre.

L'humanophone reposait sur cette capacité quasi universelle. Chaque exécutant n'avait à se soucier que de sa note personnelle : le reste, Pekisch s'en occupait(...).

- Vous ne venez pas ici chanter une note quelconque. Vous venez ici chanter votre note. Ca n'est pas rien : c'est quelque chose de magnifique. Avoir une note, je veux dire : une note rien qu'à soi. La reconnaître, entre mille, et l'emporter en soi, à l'intérieur de soi, avec soi. Vous ne me croirez peut-être pas, mais je vous le dis, quand vous respirez elle respire, quand vous dormez elle vous attend, elle vous suit partout où vous allez, et je vous jure qu'elle ne vous lâchera pas, aussi longtemps que vous ne vous serez pas décidés à crever, et ce jour-là elle crèvera avec vous.

Vous pourrez faire comme si de rien était, venir ici et me dire cher Pekisch je regrette mais je ne suis pas vraiment persuadé d'avoir une note en moi, et repartir comme vous êtes venus, tout simplement... mais la vérité, c'est que cette note, elle est là... elle est là, mais vous ne voulez pas l'écouter. Et ça c'est complètement idiot, c'est un sommet de l'idiotie, une idiotie à en rester les bras ballants. Chacun à sa note, la sienne propre et s'il préfère la laisser pourrir en lui... non... écoutez-moi bien... même si la vie fait un bruit d'enfer aiguisez bien vos oreilles jusqu'à ce que vous arriviez à l'entendre, et à ce moment-là cramponnez vous à elle de toutes vos forces, ne la laissez plus vous échapper."

C'est extrait de "Châteaux de la colère" d'Alessandro Baricco.


Je sais pas vous, mais ça me fait vraiment plaisir de lire ça. Voilà.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Oui c'est sympatish, mister perkish !

Anonyme a dit…

moi j'aimerai faire un pyramide humaine de 160 mètres et sans filet.
Je trouve qu'il faut savoir prendre des risques quand on est artiste.

Sinon j'ai trouvé ma note perso, c'est le si dièze!
Mais je la sort que quand je suis bourré... je parlais de la note bien sûr

Fab joueur de flûte devant l'éternel